
C’est un truisme de dire que les retombées économiques et sociales de la pêche maritime dans les quartiers de la Langue de Barbarie, sont difficilement quantifiables. Le visiteur qui débarque pour la première fois à Guet-Ndar se rend compte aisément des efforts déployés constamment par les pêcheurs, les mareyeurs, les vendeuses de poisson et autres transformatrices de produits halieutiques, en vue de contribuer efficacement à la lutte contre la pauvreté, l’émigration clandestine, le chômage endémique des jeunes, la délinquance juvénile, le désœuvrement, la mendicité forcée, etc. Avec les 500 licences de pêche que la Mauritanie vient d’octroyer aux pêcheurs sénégalais, l’espoir est en train de renaître à Guet-Ndar, puisqu’il permettra à 500 pirogues de pouvoir pêcher légalement sur les eaux mauritaniennes jusqu’à 50 000 tonnes de poissons pélagiques.
En ce milieu de matinée de janvier 2024, l’ambiance est indescriptible à Guet-Ndar. Il est 11 heures 30. Les populations vaquent tranquillement à leurs occupa-
tions. En cette période de fraîcheur, la sardinelle, espèce pélagique communément appelée « Yaa-boye » en wolof et fort prisée par nos ménagères qui en ont besoin tous les jours pour préparer le fameux plat de tiébou-dieune (riz au poisson), est revenue en force. A partir du pont Moustapha Malick Gaye, entièrement réhabilité par l’Etat et ses partenaires, une belle vue panoramique permet d’apercevoir un quartier populeux, dense et vivant, des ruelles étroites. Derrière les clôtures de bois, de tôles ou de parpaings, les maisons en dur sont aussi nombreuses que les baraques. Mais toutes les constructions frappent par leur petite taille et leur entassement dans un espace réduit. Ici, les populations sont confrontées à d’énormes difficultés pour se déplacer dans cette partie de la ville amphibie (entourée d’eau) de Mame Coumba Bang (Génie tutélaire des eaux).
Accoudé à la portière d’un taxi urbain, ce chauffeur rompu à la tâche, âgé d’une quarantaine d’années et domicilié à Pilote Barre dans Le Gandiolais, attend un client aux abords du grand marché de Ndar-Toute. Il nous fait comprendre qu’il a l’occasion aujourd’hui de réaliser en fin de journée un bon chiffre d’affaires.
Baye Gaye, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est membre d’une grande famille de pêcheurs. Ses frères, reconvertis en mareyeurs après avoir effectué de nombreuses campagnes de pêche en haute mer et pendant une quinzaine d’années, font le pied de grue chaque matin sur le quai de débarquement de poissons de Diamalaye, à Guet-Ndar, en vue d’acheter et de revendre des cageots de sardinelle. Et grâce aux revenus tirés de la pêche, a-t-il poursuivi, « tous les membres de notre famille ont pu construire de très belles maisons dans le Gandiolais, dans le Toubé et dans d’autres localités de l’arrondissement de Rao ».
Selon ce chauffeur de taxi, c’est avec ces ressources financières générées par ces nombreuses campagnes de pêche en mer, notamment, dans la zone maritime mauritanienne, qu’il a pu acheter ce véhicule de transport en commun, et une pirogue très solide et fonctionnelle, mise à la disposition de ses neveux qui l’utilisent très souvent pour aller chercher du poisson en mer.
Malgré les difficultés auxquelles les pêcheurs de la Langue de Barbarie sont quotidiennement confrontés dans le cadre de l’exercice de leur métier, ces derniers, à en croire Mame Thierno Diop, domicilié à Lodo, « arrivent à survivre, à subvenir aux besoins de leurs familles, à se reconvertir au moment opportun dans d’autres domaines de la vie économique de notre pays ». Leurs problèmes, a souligné Gorgui Sène, pêcheur des sennes tournantes, s’articulent autour du renouvellement des licences de pêche, de l’arraisonnement des pirogues sénégalaises par les gardes côtes mauritaniennes, de la gestion de la brèche, des problèmes de conservation des produits halieutiques. « Nous rendons hommage néanmoins, renchérit ce charpentier en pleine action sur la berge du fleuve,
aux autorités mauritaniennes qui nous ont accordé récemment 500 licences de pêche, nous avons besoin d’autres licences qui nous permettront d’inciter les jeunes à aller opérer dans les eaux mauritaniennes au lieu de se lancer dans l’émigration clandestine », a-t-il avancé. A Guet-Ndar, précisément à hauteur du quai de débarquement de Diamalaye, nous constatons également la bravoure de ces nombreuses femmes transformatrices de produits halieutiques. « Nous vendons tous les jours, des produits marins et toutes les espèces de poisson d’eau douce qui nous viennent du Gandiolais, telles que les tilapias, les carpes rouges, le « Séés », le « Yés ou poisson chat », le « Thiakhat », le « Capitaine ou Dieune-Wéékh », le « Ndiaguel », le « Guélakh », etc… », nous explique Daba
Sarr, 32 ans, domiciliée à Pondokholé.
Sur la berge du fleuve de Guet-Ndar, à hauteur de Diamalaye, nous sommes impressionnés par les mouvements de ces femmes qui se livrent à d’âpres marchandages avec des clients prêts à enlever ces centaines de cageots d’ailerons de requins, bien transformés, pour les exporter vers certains pays de la sous-région. Dégoulinantes de sueur, ces transformatrices de poissons donnent des injonctions aux charretiers véreux, réprimandent certains employés subalternes qui retardent le travail, harcèlent des ouvriers qui mettent du temps à fumer la sardinelle. Nul n’est insensible au charme et à la beauté de ce petit bras du fleuve, séparé de la mer par les cimetières de Guet-Ndar. Comme tous les fleuves, ce petit bras creuse son empreinte dans la terre. Il ne lui cède pas pour autant une partie de sa vigueur. Au contraire, il la ronge. Il ne fertilise que les glèbes (motte de terre, terre grasse et compacte, etc) denses, bien assises. Majestueux et indifférent, ce fleuve est calme, amorphe etserein, bien dompté par le Génie tutélaire et protecteur Mame Coumba Bang.
Ce vieux quartier des pêcheurs de Guet-Ndar, atypique, grouille de monde dans un vacarme indescriptible, exhibant fièrement ses vieilles chaumières, attrayantes dans leur prodigieux enchevêtrement, sa grande mosquée qui trône, imperturbable, au milieu de Lodo et de Pondokholé (sous-quartiers), des centaines de pirogues qui s’alignent sur la plage, le site de Diamalaye où on débarque la sardinelle, et le cimetière « Thiaka Ndiaye » où on découvre des
tombes hérissées de piquets de bois ou de fer, recouvertes de filets de pêche qui, à l’origine, étaient l’unique moyen de protéger les sépultures contre les chacals et les chiens errants. Guet-Ndar est un monde exceptionnel, un havre de paix où on élève le ton à sa guise, où un voisin peut se permettre de réprimander et de corriger sévèrement un enfant têtu et récalcitrant, un endroit paradisiaque où, grâce à une solidarité agissante, on s’évertue à rendre d’énormes services à son prochain sans ostentation.
Mbagnick Diagne




