La pêche artisanale sénégalaise semble être à l’agonie. La commune de Kayar, dont elle constitue l’une des activités économiques principales, est très affectée. Le maire de la commune, Aliou Ndoye, lui-même pêcheur, nous en parle et montre la voie pour sortir le secteur des engrenages actuels.
Monsieur le Maire, la pêche est un secteur vital pour la commune. Quel regard portez-vous sur la situation du secteur en général et au niveau de Kayar ?
Kayar est un port incontournable dans la pêche au Sénégal. Il a subi, comme dans toutes les zones de pêche, la crise du secteur causée par la rareté des ressources halieutiques. Cela affecte toutes les populations qui s’activent dans ce secteur à la fois extrêmement transversal. On y trouve pêcheurs, mareyeurs, colporteurs, transformatrices... qui viennent de partout. Cette rareté de ressources halieutiques est causée par des pratiques dangereuses prohibées par le code de la pêche comme l’usage des monofilaments (ndlr : dont les mailles plus resserrées capturent les juvéniles et empêchent la reproduction des espèces), les filets tournants (ndlr : engins permettant d’encercler les poissons pélagiques) etc. Toutefois, Kayar reste dans la dynamique de pouvoir respecter le code de la pêche et de pratiquer une pêche responsable avec l’encadrement du Conseil local de la pêche artisanale (CLPA) de Kayar. Ce qui nous permet d’être l’un des rares quais de pêche où on peut voir débarquer le poisson du jour. Il faut aussi souligner, dans cette crise, la prolifération des pirogues et des filets tournants. D’une pirogue par maison il y a quelques années, on est passé à 4 par maison. Et les filets tournants, tout le monde, quasiment, en dispose aujourd’hui.
Du côté de Kayar, comment la réflexion est elle menée pour maintenir le dynamisme nécessaire ? Autrement dit quel est le degré d’implication des autorités locales pour contribuer à la redynamisation et de la sécurisation du secteur ?
Kayar se bat pour pratiquer une pêche responsable. Nous sommes cependant confrontés à des pratiques de pécheurs venus d’ailleurs comme ceux de Mboro qui, souvent, transgressent les lois et normes. La bataille contre ces pratiques est constante. Pour changer la donne, nous avons eu à organiser plusieurs rencontres avec les pêcheurs de Saint Louis et ceux de Mboro. Nous sommes aussi heureux que l’Etat prenne les choses en main à travers la gouvernance de la région de Thiès qui a eu à tenir une réunion élargie. Elle ouvre là une plateforme de réflexion et de concertation bénéfique à tous. Il faut que chacun respecte le code et les normes. Si les pêcheurs de Kayar et d’ailleurs s’en tiennent au cadre défini par le code et par le CLPA, je pense nous allons connaître moins de problèmes. A Saint-Louis par exemple, il y a tellement de filets tournants qu’il a fallu réglementer : il y a ceux qui partent pêcher le matin et ceux qui partent l’après-midi ou le soir. Pour résumer, je dirai que la réflexion est lancée et devrait aboutir à une amélioration de la situation et permettre aussi d’enregistrer moins de conflits entre pêcheurs.
Quelle appréciation faites-vous de la nouvelle charte de la pêche durable proposée par les pêcheurs artisanaux aux candidats de l’élection présidentielle ?
C’est une charte qui vient à son heure. Les candidats à la présidentielle doivent accorder beaucoup d’intérêt à la pêche artisanale au regard de son poids socio-économique et s’accorder sur cette charte. Aujourd’hui, si on demande des licences de pêche à la Mauritanie, c’est parce qu’elle est mieux organisée et gère mieux son secteur que le Sénégal. Le défaut d’organisation du secteur au Sénégal et le non-respect des lois et normes sont les principales sources de difficultés. On incrimine l’Etat - à tort ou à raison -sur les contrats de pêche signés avec l’UE -, mais je pense que les pêcheurs locaux doivent d’abord être plus responsables. Avec un comportement plus responsable de la part de chacun, tout le monde y gagne. A Kayar, on a noté par exemple le retour des sardinelles qui avaient presque disparu à cause de mauvaises pratiques de pêche. Elles sont de retour parce qu’il y a eu des mesures drastiques sur certaines formes de pêche entre temps. C’est à saluer et nous restons dans cette dynamique-là. A Kayar, nous sommes prêts et ouverts pour travailler à aller vers une pêche encore plus responsable et préserver les ressources halieutiques pour la viabilité du secteur et pour les générations futures. On fait à Kayar aussi le procès d’être le point départ de la migration clandestine, justement à cause de la situation délétère de cette filière artisanale abandonnée de plus en plus par les jeunes pêcheurs.
Quelle est la part de responsabilité des autorités locales dans la lutte contre ce fléau ? Comment se fait l’échange à ce propos avec les acteurs de la pêche artisanale répertoriés à Kayar ?
Effectivement, beaucoup de jeunes sont partis. Aujourd’hui, beaucoup de pirogues restent à quai faute de main d’œuvre. C’est compréhensible lorsque l’on sait que l’espoir de beaucoup de jeunes de Kayar s’amenuise avec cette crise sectorielle et la conjoncture. Maintenant, ce sont des concitoyens du Baol et du Sine qui viennent les relayer dans les embarcations. L’Etat doit revoir sa politique de la pêche pour créer des conditions d’épanouissement socio-économique ou de reconversion des jeunes pêcheurs. L’exploitation du pétrole et du gaz offshore ne rassure pas pour autant, il faut aussi le dire. Pour fixer les jeunes et arrêter le flux migratoire, il faut des alternatives concrètes et efficientes. Dans ce flux migratoire, on voit souvent les jeunes qui arrivent, mais l’attention doit être portée sur
les jeunes qui périssent en mer qui sont beaucoup plus nombreux. Il y a cinq mois, une pirogue de Kayar est partie avec près de 100 jeunes, dont on est resté sans nouvelles depuis. C’est ce qui s’est passé à Fass Boye et à Mbour...L’Etat doit organiser des assises ou un conseil présidentiel de l’émigration pour stopper cette hémorragie.
On indexe souvent les bateaux de pêche industrielle d’être la cause principale de la raréfaction des ressources halieutiques. N’est-ce pas là une manière d’éluder la responsabilité des pêcheurs artisanaux qui se signalent aussi par des pratiques de pêche prohibées ?
On peut incriminer l’État sur les accords de pêche si on veut, mais les responsabilités sur cette crise sont partagées par tous les acteurs, les pêcheurs artisanaux comme les pêcheurs industriels. Les pêcheurs artisanaux utilisent parfois des outils beaucoup plus nuisibles que ceux des bateaux de pêche. Ces pratiques gênent même la mobilité et la régénérescence des poissons. Tous les acteurs doivent faire leur autocritique. Il faut réorganiser le secteur de la pêche artisanale et durcir les mesures pratiques pour sa survie. A défaut, le secteur dans sa globalité poursuivra sa descente aux enfers et l’économie nationale en pâtira.
En définitive, comment concilier une parfaite cohabitation entre les deux types de pêches, industrielle et artisanale ?
La cohabitation ou la jonction entre la pêche artisanale et la pêche industrielle est inévitable. Cette cohabitation doit être bien organisée, avec une délimitation des zones de pêche. Les bateaux pêchent là où les pirogues ne peuvent pas aller, et que chacun s’en tient à cela. Maintenant, c’est important de faire des rencontres pour échanger, définir des pistes et s’accorder sur un cadre de pratique en référence au code et normes multidimensionnelles, et le faire intégrer dans la pratique. Quand des gens travaillent dans un même milieu, la concertation permanente est un gage de bonne cohabitation, de paix, de stabilité et de progrès mutuel. Cela aide aussi dans la prévention de conflits qui ne rendent service à personne.
Entretien réalisé par Cheikh Mbacké SENE
La pêche artisanale est en crise à Kayar. La commune s'engage à promouvoir une pêche responsable et collabore avec les pêcheurs pour redynamiser le secteur. La migration clandestine reste un défi majeur. La cohabitation entre les pêcheurs artisanaux et industriels nécessite une concertation continue.